Paris. J’ai 15 ans. Depuis deux jours on déambule d’expo en expo dans toute la ville. J’ai mal aux pieds. J’en ai marre. Je le maudis. Je veux rentrer.
-Encore une dernière, il me dit
Mon parrain « photographe », en déplacement sur la capitale, m’a proposé de le rejoindre avec ses parents pour y faire quelques visites culturelles…et gastronomiques.
La dernière…
Je suis lasse, je n’imprime plus rien, ma tête est vide. J’ai la tête vide
J’enlève mes sandales, j’ai vraiment trop mal.
Je m’arrête devant une photo, à quoi bon lutter. Il a décidé…
Un simple cliché. Plutôt joli. Je trouve que la dame est grosse et un peu culotée d’exposer ainsi ses rondeurs…
Mon parrain m’explique alors que la femme du photographe au réveil de sa sieste était en train de se rafraichir lorsqu’il l’a trouvé. Il lui a dit de ne pas bouger le temps d’attraper son appareil et de tirer quelques clichés.
Ce qui deviendra un chez d’oeuvre.
J’observe à nouveau la photo, plus concentrée. Au début je n’y vois que la grosse dame. A un moment pourtant, je me sens entrer dans la photo. C’est comme si j’étais là, dans la pièce, au même moment. Véritablement une rencontre charnelle.
-mademoiselle, remettez vos chaussures s’il vous plait. Vous pourriez vous faire mal.
Le charme vient de se rompre.
Je remets mes sandales, je jure. Non mais quel con ce gardien. Y’a t’il une loi qui interdit en France de marcher pieds nus?
En hâte je note le nom du photographe sur mon carnet. Je ne veux pas l’oublier. Je n’ai pas la mémoire des noms, alors en bonne écolière attentive, je note.
Retour à l’hôtel, on traverse le grand jardin. Il m’a prêté son vieil appareil, dans sa gaine de cuir marron. Vintage on dirait aujourd’hui.
La leçon continue, il m’explique, patiemment me détaille. Je gobe tout. Je n’ai plus mal nulle part.
On s’arrête devant une statue, un grand bonhomme, qui se tient la joue.
Cadrage, lumière, ouverture… Saisir le sujet, le faire ressortir. Je dis oui oui avec la tête, je suis un peu paumée.
-Invente toi une histoire, raconte toi un scénario. Regarde cette sculpture, ce mec qui fait la tronche. Il est de mauvaise humeur parce que sa chère amie devait venir se balader au parc mais elle a été retardée dans le métro. Et là cette dame qui regarde vers le ciel. Elle n’est pas contente parce que son jules devait la rejoindre mais il en a choisit une autre.
Et ça continue, un pigeon posé devient un porteur de bonne nouvelle, une enfant qui rit vient de voler une sucrerie…
Willy je ne vous ai jamais oublié. Et je vous remercie. Grace à vous je suis entrée en contact avec une part de moi-même. Celle là même qui écrit aujourd’hui.
JP (mon parrain) double merci. Grace à tes précieux conseils je peux désormais divaguer en toute liberté…
Je ne sais toujours pas me servir d’un appareil photo, incapable d’assimiler les nombreux réglages et parfois, pur hasard, un cliché sortira du lot. J’essaye toujours de saisir la lumière, le sujet, je m’y applique.
Mais souvent lorsque j’observe une sculpture, une photo, une peinture, je surprends mon imagination divaguer au service du sujet…
le 25/11/20